Guadeloupe et Martinique : une surexposition aux pesticides unique au monde. Financez en partie le recours en justice de l’association Guadeloupéenne « EnVie-Santé » pour la modification des .LMR chlordécone. Précisions supplémentaires et références

Une situation unique au monde

Du point de vue de la pollution globale par un puissant pesticide et du point de vue de la contamination généralisée de leur population, les Antilles Françaises (Guadeloupe et Martinique se trouvent – selon le Professeur William DAB et le Docteur Luc MULTIGNER – dans une situation unique au monde.

Ancien Directeur Général de la Santé et ancien Président du Conseil Scientifique International du Plan Chlordécone Guadeloupe-Martinique 2008-2010, William DAB a rencontré à tyravers le monde de nombreuses situations de crises sanitaires liées à des pollutions par les produits phytosanitaires. Pourtant, il considère le cas des Antilles Françaises comme particulièrement atypique car la population locale se trouve forcée de planter sur sol très contaminé et de manger ses récoltes.

Référence :

William DAB, « La pollution des Antilles par un pesticide », Conférence du 14 juin 2012 in Les jeudis de l’environnement , France inter, durée : 01h43.

http://www.franceculture.fr/la-pollution-des-antilles-par-un-pesticide

Le docteur Luc MULTIGNER est chercheur à l’INSERM de Rennes et au CHRU de Pointe-à-Pitre/Abymes en Guadeloupe.

Il a révélé que le chlordécone est le toxique le plus répandu dans les cours d’eau aux Antilles et dans le sang des Antillais ; environ 90 % des Guadeloupéens sont contaminés. Selon lui, ces deux particularités sont exceptionnelles car une population entière n’est que très rarement touchée sur une même période de référence par un même toxique. Ce même chercheur affirme que des épidémiologistes, généticiens, cancérologues, et autres spécialistes du monde entier ne cessent de s’intéresser à la contamination globale des populations Martiniquaises et Guadeloupéenne du fait de la pollution globale de leur biotope.

Le Dr Multigner estime* en outre que le retentissement politique aurait été très différent, si ce territoire se situait en France métropolitaine.

* Cf. par exemple Dr Luc MULTIGNER, « Chlordécone: Quels Dangers, Quels Risques? » conférence du 29 novembre 2014 à la Cité des métiers du Raizet, en Guadeloupe.

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Au début des années mille neuf cent soixante-dix, conscientes de la grande dangerosité des pesticides organochlorés, les autorités françaises achevèrent d’interdire l’usage des pesticides agricoles organochlorés en France hexagonale. Paradoxalement, dans les territoires ultramarins, notamment en Guadeloupe et en Martinique, elles en autorisèrent un – le chlordécone – pour lutter «contre le charançon du bananier ».

Le chlordécone en Europe

Daté d’octobre 2009, un rapport de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire de l’Environnement et du Travail (AFSSET)  montre qu’une quinzaine de pays européens ont utilisé durablement des pesticides à base de chlordécone sans pour autant que des politiques publiques n’aient ensuite été mises en œuvre pour la mise en sécurité sanitaire de leurs populations.

Cf Document de travail AFSSET, Unité Affaires Européennes et Internationales, « 2ème note d’étape concernant la mise en œuvre de l’action 40 du Plan d’action chlordécone 2008-2010 « Coopérer avec les autres pays potentiellement concernés pour l’évaluation et la gestion d’une pollution par le chlordécone et de ses impacts sanitaires, agronomiques et environnementaux : Volet européen » version 1 du 8/10/2009, 6 pages

Le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique

De 1972 à 1993, ce pesticide a été abondamment épandu sur les sols agricoles des Antilles françaises (Guadeloupe et Martinique). De nombreux pays – y compris dans l’actuelle Union Européenne – l’utilisaient alors.

Le chlordécone est un pesticide de type Cancérogène, Mutagène et Reprotoxique (CMR).

A cause de sa grande toxicité, de ses fortes capacités bio-accumulatives mais surtout à cause de faible prix, le chlordécone est souvent considéré comme l’insecticide du pauvre. En outre, sa structure chimique « en cage » lui confère une rémanence de plusieurs siècles (5 à 6 selon l’INRA, 7 selon le BRGM) sans aucune dégradation significative dans l’environnement. Faute de moyens dévolus à la recherche en dépollution des sols ainsi contaminés, le lessivage par l’eau de pluie serait donc extrêmement lent.

L’utilisation massive du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique a engendré une pollution globale de l’environnement et une contamination généralisée de la population.  Chercheur à l’INSERM, le docteur Luc MULTIGNER a pu établir que le chlordécone est le toxique le plus répandu dans les cours d’eau aux Antilles et dans le sang des antillais. Ses travaux l’ont amené à conclure que 90% de la population serait contaminée.

Effets avérés du chlordécone sur la santé humaine

Un lien de causalité entre l’exposition au chlordécone et le cancer de la prostate a déjà pu être établi par l’aboutissement du programme de recherche Karuprostate. Dans un de leurs rapports publié en l’an 2000, les Agences Régionales de Santé (ARS) de Guadeloupe et de Martinique ont constaté que le taux de cancers de la prostate dans ces deux régions étaient brusquement passés au premier rang mondial, alors qu’ils étaient auparavant en dessous de la moyenne mondiale. Une autre étude, l’étude « Ti Moun » (ce qui signifie « enfant », en créole), réalisée par 5 pays dont la France (INSERM) à partir d’une cohorte d’enfants guadeloupéens et de leurs mères exposées au chlordécone durant leur grossesse a démontré que la prématurité de certains nouveaux nés pouvait s’expliquer par une telle exposition. Un autre volet de cette même étude, révèle encore un lien de causalité entre certains troubles psychomoteurs de jeunes enfants et l’exposition de leur mère au pesticide durant sa grossesse : réduction de la préférence pour la nouveauté, réduction de la vitesse de traitement des informations (augmentation du temps nécessaire au traitement des informations et diminution des facultés d’attention), baisse de la mémoire visuelle à court terme, diminution de la motricité fine… Il apparaît en outre que ces enfants souffrent aussi d’une perte de quotient intellectuel pouvant aller de 10 à 20 points. D’où la nécessité de mettre en place – en Guadeloupe et en Martinique – de très nombreuses structures d’assistance intellectuelles.

Jusqu’ici, les Antilles françaises affichaient volontiers une image de terre de champions. Seront-elles désormais considérées comme des terres de Personnes à Intellection Réduite?

NB : le premier volet de l’étude Ti Moun a rappelé que le chlordécone est spermatotoxique, neurotoxique, perturbateur endocrinien et cancérogène pour l’homme.

Aujourd’hui, en Guadeloupe comme en Martinique, de nombreuses restrictions frappent les consommateurs de denrées locales.

Exemple de la Guadeloupe: évolution du mode de consommation des produits locaux

Ainsi, du fait de la pollution au chlordécone, l’eau du robinet ou mise en bouteilles doit être filtrée au charbon actif. Il est interdit de consommer les produits des rivières (crustacés, coquillages et poissons). Concernant la pêche en mer, 44 familles de poissons, coquillages, crustacés et fruits de mer ne peuvent être pêchées dans plusieurs zones du littoral. Certaines langoustes ont été dosées à 1.000 µg de chlodécone par kg de chair fraîche. Des espèces d’oiseaux (tourterelles à queue carrée, grives à pattes jaunes, …) sont interdites à la consommation si elles sont chassées dans certaines zones. Les viandes rouges locales doivent être normalement analysées à l’abattoir avant consommation. Le cas échéant, elles sont  détruites sans pour autant que les propriétaires des carcasses soient indemnisés. D’où l’instauration de filières d’abattage clandestines qui approvisionnent en viandes – certes contaminées mais à bas prix – les boucheries de l’île. A noter enfin que le jaune d’œuf de poule élevée sur sol contaminé peut concentrer jusqu’à 1.000 µg de chlordécone par kilo de matière fraîche !

Pour aller plus loin

Pour une présentation beaucoup plus complète de cette pollution/contamination du biotope guadeloupéen, pour des références scientifiques précises, se reporter à :

Philippe VERDOL, Le chlordécone en Guadeloupe : une pollution/contamination globale de l’environnement et de la population, in Lettre de la LDH sur l’Outre-Mer n°4, avril 2015,

http://www.ldh-france.org/chlordecone-en-guadeloupe-pollutioncontamination-globale-lenvironnement-population/

Une exception très dangereuse pour la santé des consommateurs européens de végétaux contaminés par un pesticide interdit – en l’occurrence par le chlordécone – et produits en climat tropical a été introduite depuis 2008 par les législateurs européens et français.

Un scandale sanitaire !

Des restrictions frappent bien évidemment la consommation des végétaux dès lors qu’ils dépassent les Limites Maximales de Résidus (LMR) en chlordécone qui ont été établies en 2008 par l’Union Européenne, sur proposition de la France.

Le droit européen prévoit de ne pas proposer aux consommateurs les produits dont la teneur en pesticides interdits (en l’occurrence le chlordécone) est au moins équivalente au seuil de détection (10 microgrammes du pesticide par kilo de matière fraîche). Parce qu’en 2006, une étude de l’INRA avait révélé que les teneurs en chlordécone de certains échantillons de bananes étaient de 17 microgrammes par kilo de bananes fraîches, les lobbies de la banane antillaise ont imposé une exception aux LMR chlordécone qui ont été promulguées par l’Union Européenne en 2008. Désormais, pour les végétaux issus de l’agriculture tempérée, les tolérances chlordécone doivent être inférieures au seuil de détection (10 microgrammes par kilo de matières fraîche). Pour les végétaux issus de l’agriculture tropicale, les tolérances chlordécone sont de 20 microgrammes par kilo de matière fraîche – soit le double de celles retenues pour les produits de l’agriculture en climat tempéré!

C’est proprement scandaleux !

Référence relatives à la contamination de la banane:

Y-M. Cabidoche, M. Jannoyer et H. Vannière, Conclusions du Groupe d’Etude et de Prospective  « Pollution par les organochlorés aux Antilles » Aspects agronomiques, CIRAD INRA , Juin 2006, 66 pages, contamination de la banane: tableau p.22.

http://transfaire.antilles.inra.fr/IMG/pdf/pollution_par_les_organochlores_aux_Antilles-juin2006.pdf

De manière générale, face aux dangers des pesticides, encore très récemment, les Guadeloupéens de l’association EnVie-Santé ne sont pas restés inactifs.

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Action de l’association EnVie-Santé relative à l’épandage aérien de pesticides agricoles

Ainsi, concernant l’épandage aérien des pesticides agricoles, l’association EnVie-Santé (Environnement, Vie et Santé) dont je suis président, trois mois seulement après sa création,  a fait une démarche – avec deux autres petites associations guadeloupéennes de défense de l’environnement – d’abord devant le Tribunal Administratif de Basse-Terre puis devant le Conseil d’Etat. Nos démarches ont finalement abouti à l’interdiction de l’épandage aérien de pesticides agricoles outre-mer mais aussi en France hexagonale.

NB : EnVie-Santé (Environnement, Vie et santé) a été créée en février/mars 2013, à l’initiative de médecins très inquiets de l’impact du chlordécone en particulier et des pesticides en général sur l’environnement et la santé des guadeloupéens.

Notre engagement actuel vise à faire cesser l’exposition des populations antillaises au chlordécone afin que chacun puisse consommer des produits locaux sains. A maintes reprises, nous avons tenté de mobiliser nos élus pour des actions tendant à garantir la sécurité sanitaire de notre population. En vain !

ANNEXE (extraite de Philippe VERDOL, Du chlordécone comme arme chimique française en Guadeloupe et en Martinique et de ses effets en Europe et dans le monde – Plainte et demande de réparations, éditions l’Harmattan, 2014, 214 pages, pp.159 à 165).

Observations des infirmières scolaires du Sud Basse-Terre : des inquiétudes à vérifier !

En janvier 2013, nous avons répondu à l’appel d’une infirmière scolaire du sud Basse-Terre.

Elle tenait à nous apporter un témoignage quant à l’état sanitaire des enfants de 3 et 4 ans scolarisés en classe maternelles.

En voici la teneur.

Depuis 3 ou 4 ans, elle et ses collègues ne reconnaissaient plus l’état général des petits Guadeloupéens. En grande majorité, avant 2009, ils débordaient de santé. Maintenant, dans chaque classe, on dépiste des enfants présentant plusieurs pathologies.

Depuis 3 ans, ce qui est nouveau, c’est l’augmentation du nombre d’enfants pris en charge tant à la ville qu’à la campagne ainsi que la proportion d’enfants affectés de troubles du langage et de troubles psycho-comportementaux. Désormais beaucoup d’enfants ont des profils autistiques. Il y a eu aussi ce cas d’enfant de 3 ans en dépression profonde ! Cette évolution générale est perceptible dans les bilans de santé des enfants inscrits dans les écoles maternelles de Guadeloupe .

A titre d’illustration, voici une liste des pathologies cumulées par cinq enfants d’une même classe réputée « normale ». Cette classe est considérée comme représentative de plusieurs autres classes et de plusieurs écoles du sud Basse-Terre.

–              Malformations physique: fistule recto-vaginale + absence d’anus, malformation rénale, dysmorphie du visage, pieds plats, ventre très relâché, strabisme convergent,

–              Troubles physiques : diabète, obésité stade 2, troubles de la vision, confusion des couleurs, troubles de l’audition, incontinence urines et selles, infection urinaire, tendances à la constipation, allergies, asthme, tremblements

NB : * certains enfants doivent être traités à l’école par la dépakine  tant leurs tremblements sont inquiétants ;

* les violents tremblements observés chez un enfant, l’ont été aussi chez ses parents ou chez ses collatéraux qui venaient le chercher après l’école

–              Malformation chromosomique : délétion chromosomique du bras long du chromosome 10

–              Troubles neurologiques

–              Troubles psychologiques : mutité, comportement autistique, l’enfant ne sait pas si il/elle est fille ou garçon

–              Troubles psychomoteurs : malhabile, ne sait pas s’habiller, ne sait pas tenir un crayon ; confusion haut/bas, droite/gauche, dessus-dessous, devant/derrière, avant/après, haut/bas, etc

–              Troubles de la motricité fine

–              Troubles du langage

–              Troubles de la concentration : instabilité, violence

–              Troubles de l’apprentissage.

–              …

Selon cette infirmière de santé scolaire, toutes ces observations ont pris un sens pour elle et ses collègues, lorsque leur hiérarchie leur a communiqué l’étude TiMoun , relative aux effets du chlordécone sur les jeunes enfants. Les pathologies observées ébranlent tellement les parents que nombre d’entre eux, même des professionnels de santé, sont dans le déni : « mon enfant est parfaitement normal ! ».

Dans le sud Basse-Terre, on peut constater que les enfants victimes de ces symptômes ont souvent grandi sur ou à proximité d’anciennes bananeraies. Leurs parents sont volontiers en relation très directe avec les sols contaminés : exploitants agricoles, ouvriers agricoles ou spécialistes de l’entretien des espaces verts. Le quotidien des enfants qui présentent de telles pathologies est relativement délicat, à la campagne. C’est pourquoi, leurs parents sont de plus en plus nombreux à scolariser les enfants atteints  dans les centres-villes ou centre-bourgs. L’indifférence du voisinage et de leurs petits camarades est sécurisante en ce qu’elle permet d’éviter ou d’amortir la stigmatisation.

Les besoins en personnels, en équipements et en structures spécialisées sont de plus en plus importants. Loin de les satisfaire, la politique de l’ARS (Agence Régionale de Santé) et du Conseil Général les restreint davantage.

En quelques années, plusieurs postes de médecins et d’infirmières de l’académie de Guadeloupe – qui relevaient donc de l’Education nationale – ont été supprimés. De plus, les infirmières de santé scolaire dépendront désormais de l’ARS. Les équipes de RASED*  sont donc disloquées. Le personnel employé pour l’assistance permanente de ces enfants (AVSI**)  est en nombre insuffisant.

Actuellement, le dépistage exclut près de la moitié des enfants. Il est sans moyens de suivi de tous ceux qui sont dépistés. Ceux qui ne sont pas pris en charge grandissent avec leurs handicaps.

Le Conseil Général devrait créer des structures spécifiques avec du personnel spécifique.

Beaucoup d’enfants, non suivis par la Protection Maternelle et Infantile restent à la maison. Les places en CAMPS***  sont en effet rares.

En définitive, il y a beaucoup plus de cas à traiter avec beaucoup moins de personnels.

L’infirmière observe encore que plusieurs des enfants qui n’ont pas été suivis sont devenus des adolescents de 14 ou15 ans dont le comportement très violent a déjà défrayé la chronique.

Devrait-on rechercher, dans l’effet des pesticides, l’une des explications de la montée vertigineuses des incivilités et de la violence en Guadeloupe ?

Malgré les bilans de santé qui leurs sont transmis, les politiques sanitaires mises en œuvre par l’ARS, la PMI et le Ministère de l’Education Nationale ne sont manifestement pas adaptés à l’ampleur du phénomène. En attendant, les générations montantes sont massivement sacrifiées.

* RASED: Réseau d’Aides Spécialisées aux elèves en Difficulté

**AVSI: Auxiliaire de Vie Scolaire Individuel

***CAMPS: Centre d’Action Médico-Sociale Précoce.

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