Communiqué de Presse par l’association EnVie-Santé Relaif au Colloque Chlordécone des 16-19 octobre 2018

Voici dans sa version PDF le Communiqué colloque chlordécone et dans version .doc

Lors de notre campagne de financement participatif – du 4 décembre 2017 au 2 février 2018 – nous avions à plusieurs reprises stigmatisé l’absence d’informations relatives à l’évolution de la pollution/contamination au chlordécone et aux avancées de la recherche scientifique. Depuis près de 4 ans, en effet, les réunions d’information en préfecture (GREPP1 en Guadeloupe et GREPHY2 en Martinique) qui se tenaient une à deux fois par an à destination des associations et de la société civile ont été supprimées.

Courant décembre 2017, la tenue d’un important colloque scientifique sur le chlordécone assorti d’un dispositif de communication conséquent a été annoncée par les Services de l’Etat pour le mois d’octobre 2018.
Après avoir dénoncé l’absence d’informations, nous ne pouvions rester à l’écart de cet évènement. C’est pourquoi, plusieurs membres d’EnVie-Santé ont assisté à l’intégralité de ce colloque en Martinique ainsi qu’aux ateliers Santé et aux deux débats publics de Martinique et de Guadeloupe.

Un gros effort de com de la part de l’etat!

Objectifs affichés des organisateurs du Colloque :

– Dans la limite des places disponibles, accueillir le plus grand nombre de personnes possible Ma demande d’inscription tant en Martinique qu’en Guadeloupe, a été acceptée par les organisateurs, sans trop de difficultés.

– Proposer des interlocuteurs de haut niveau
Présence constante du préfet de la Martinique pendant toute la manifestation en Martinique ; présence du préfet de Guadeloupe le 19 dans l’après-midi.
Présence constante de hauts responsables venus tout spécialement de Paris : Directeur Général Adjoint de l’Alimentation, Directeur Général de la Santé, Directeur Général de Santé Publique France, Directeur Général ANSES, Directeur Général Adjoint ANSES Chargé de la Consommation, Directeur Général de l’Outre-Mer, …

– Garantir une liberté de parole
Pendant toute la manifestation, le micro circulait librement dans la limite des temps impartis pour les différents débats.

– Une volonté de transparence des débats
A partir de la page Facebook de la Préfecture de la Martinique, il était possible de suivre les débats (y compris les deux débats publics) en direct ou en « replay », de télécharger avant même le début du colloque les résumés voire les communications complètes des chercheurs invités, etc. Seuls les

1 GREPP : Groupe Régional d’Etudes de Pollutions par les Produits Phytosanitaires.
2 GREPHY : Groupe Phyto. NB : le GREPP et le GREPHY ont été instaurés par les préfets en 2001, suite à la découverte de la forte pollution du réseau d’eau potable.

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échanges opérés dans les 3 ateliers (agriculture, pêche et santé) n’ont pas été filmés et enregistrés afin que chacun puisse livrer le fond de sa pensée avec une garantie de confidentialité.

– Présentation des travaux scientifiques en cours

Les nombreuses présentations étaient réparties en 3 ensembles : environnement, chaîne alimentaire et santé. Chacun pouvait retrouver sur la page Facebook de la préfecture l’intégralité des communications et visualiser les diaporamas correspondants

– Présentation des pilotes et des axes du plan chlordécone 3

En phase de lancement, le plan chlordécone 1 (2008-2010) a été présenté aux Guadeloupéens et aux Martiniquais mais pas les plans chlordécone 2 (2011-2013) et 3 (2014-2020).
Avec quelques excuses, les pilotes de ce troisième plan (Directeur Général de la Santé et Ministère de l’Outre-Mer) ainsi que ses grands axes ont été présentés au public lors de chacun des deux débats publics qui ont prolongé le Colloque chlordécone.

Signalons enfin qu’un appel a été lancé par les représentants de l’Etat pour la co création du quatrième plan chlordécone (à partir de janvier 2019) avec les antillais qui le souhaitent.

Selon nous, six points essentiels SONT à retenir de ce colloque :

– Le désarroi des médecins face au chlordécone
Lors des Ateliers Santé qui se sont tenus en Guadeloupe et en Martinique, les médecins présents ont

exprimé un profond désarroi

o Un médecin se déclare dans l’incapacité d’informer ses patients sur les bonnes conduites à tenir car étant lui-même – comme ses collègues – non informé. Ce médecin affirme que lui et ses confrères n’ont reçu aucune information de l’ARS concernant l’information à transmettre aux patients sur le chlordécone.

o Une femme médecin pédiatre dit qu’elle ignore où diriger la population pour un approvisionnement en produits sains

o Dans le même ordre d’idées, un autre médecin déplore l’absence de traçabilité : «quand on achète un aliment, on n’a aucune information sur sa teneur en chlordécone »

o Un médecin pédiatre affirme que la médecine conventionnelle ne propose aucun moyen de se détoxifier du chlordécone en dehors d’une cessation de l’exposition (surtout alimentaire) à ce pesticide. Il soutient que d’autres médecines proposent des solutions de détoxification et demande que soit lancé un programme de recherches visant à recenser et tester toutes ces solutions alternatives.

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– Programme JAFA : un pilier toujours contesté de la politique publique de gestion de la crise du chlordécone.

Nous avions déjà porté des critiques si fondamentales au programme JAFA qu’il a dû fermer son site internet pendant plusieurs mois. A l’occasion de ce Colloque, nous en formulons une nouvelle et nous reproduisons une autre exprimée par un médecin martiniquais.

o Notre critique de la recommandation JAFA relative à la façon de se procurer des produits sains : « se rapprocher des agriculteurs que l’on connaît » !

En réponse à une question posée lors de l’atelier Santé en Guadeloupe, le responsable du programme JAFA a déclaré que pour avoir une garantie de produits sains, il suffisait … de s’approvisionner chez son agriculteur habituel ! Il a aussi indiqué que c’était la position officielle de JAFA et de l’IREPS dont il est aussi le Directeur. Aucun des représentants de l’Etat présents dans la salle n’a contesté cette déclaration !

En cas de pollution/contamination comparable dans l’hexagone, les autorités auraient-elles laissé se diffuser par des institutions de référence des préconisations aussi préjudiciables à la santé publique ?

o Critiqued’unmédecinMartiniquais
Lors de la réunion plénière qui a suivi le travail en ateliers – à l’hôtel La Batelière –le Docteur Maurice MONTEZUME, médecin généraliste martiniquais, a rappelé qu’en France hexagonale lors de toutes les récentes maladies qui rendaient les animaux impropres à la consommation (maladie de la vache folle, grippe aviaire etc) chaque fois qu’un animal suspect était identifié l’ensemble du troupeau était abattu au nom du principe de précaution. Par conséquent, il ne comprend pas pourquoi, aux Antilles, les autorités recommandent une consommation même modérée d’animaux/d’aliments contaminés au chlordécone. En ce sens, le Docteur Maurice MONTEZUME estime que le programme JAFA n’est pas un programme de santé publique mais de maladie publique. L’attitude juste devrait être, selon lui, le zéro chlordécone dans l’alimentation. Fondamentalement le programme JAFA est une aberration – nous l’affirmons depuis des années !

– Etude de cohorte historique des travailleurs agricoles exposés au chlordécone aux Antilles

Il s’agit d’une étude sur les travailleurs de la banane. Cette étude a été réalisée par Santé Publique France, INSERM, IRSET
Son objectif est de comparer la mortalité par causes de la cohorte à celle de la population générale, en se fondant sur les certificats de décès.

D’ores et déjà, il apparaît que la mortalité « toutes causes » de la cohorte plus faible que celle de la population générale guadeloupéenne. Chez les hommes, pour toutes les causes, la mortalité est plus faible que dans la population générale. Pour le cancer de la prostate, la mortalité est équivalente à celle de la population générale. Les femmes représentent 20% de la cohorte. Leur mortalité des femmes est supérieure à celle de la population générale pour le cancer de l’estomac.

Plusieurs biais apparaissent dans ces résultats provisoires: non prise en compte des travailleurs clandestins ; les causes de décès pas forcément bien explicitées sur certificats ; les cancers ne sont pas plus nombreux que dans la population générale ce qui est surprenant à cause des conditions de manipulation du chlordécone.
Quid des travailleurs agricoles encore exposés quotidiennement au chlordécone en travaillant sur des sols (de bananeraies ou d’anciennes bananeraies) pollués ?

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– Etude KARUPROSTATE

Lors de sa présentation, le Professeur Pascal BLANCHET a rappelé le critère d’inclusion retenu pour cette étude.

Chacun des patients devait être « né de père ou de mère né(e) en Guadeloupe, Martinique, Dominique ou Haïti ». Le souci des chercheurs était « d’éliminer les gens de passages, les résidents, les métropolitains qui sont là pour peu de temps, et donc on s’est intéressés, puisqu’on ne peut pas définir l’appartenance d’une personne, on s’est intéressé à savoir s’ils étaient nés de père ou de mère eux-mêmes nés en Guadeloupe, en Martinique ou dans les îles proches afin d’essayer de comprendre notre population. […] Durée d’exposition [au chlordécone]: en moyenne une trentaine d’années… Tous nés avant 1973. […]. Les métropolitains [eux] sont souvent de court passage. Ça risque de fausser nos résultats : on ne les identifiera plus, une fois qu’on les aura inclus ! ».

En écartant systématiquement et délibérément les « métros » de leur échantillon, de fait, les chercheurs concernés ont pu réaliser une étude spécifique aux afro-descendants, ce qui est normalement interdit en France.
D’où l’émergence, dans tel ou tel cercle de chercheurs ou d’hommes politiques, d’un argumentaire particulier : la principale cause du cancer de la prostate aux Antilles serait génétique – le chlordécone n’étant qu’un facteur d’aggravation.
Cela permet aussi à certains d’affirmer qu’il n’est pas encore démontré que le chlordécone soit en cause dans l’apparition du cancer de la prostate aux Antilles. Par conséquent, dans cette logique, aucune indemnisation ne peut être envisagée en l’état actuel de la recherche scientifique.
Un tel argumentaire n’aurait jamais été possible avec des inclusions de métropolitains dans la population étudiée.

– Etude Timoun

3 volets de l’étude ont déjà été publié, relatifs respectivement aux effets du chlordécone sur la prématurité (2013), à ses effets sur les nourrissons de 7 mois (2012), et à ses effets sur les enfants de 18 mois (2013). Les résultats préliminaires du volet relatif aux effets du chlordécone à l’âge de 7 ans commencent tout juste à être diffusés en avant-première – avant la publication officielle dudit volet.

En l’absence du Professeur BATAILLE, c’est le Docteur Luc MULTIGNER qui a présenté l’étude Timoun. Il n’est pas revenu en détails sur les effets du chlordécone sur les nourrissons guadeloupéens de sept mois. Pour la bonne compréhension du quatrième volet de l’étude, nous estimons qu’il est important de rappeler le détail des effets à sept mois (3) : réduction de la préférence pour la nouveauté, réduction de la vitesse de traitement des informations (augmentation du temps nécessaire au traitement des informations et diminution des facultés d’attention), baisse de la mémoire visuelle à court terme, diminution de la motricité fine…
En outre, selon Sylvaine Cordier, ces nourrissons pouvaient présenter des pertes de quotient intellectuel (QI) allant de dix à vingt points.
J’avais alors fait observer que S.CORDIER venait de nous présenter le profil d’enfants déficients. Le Professeur BATAILLE avait rompu le silence des conférenciers pour m’assurer que ces situations pouvaient être réversibles à condition que les mères stimulent convenablement leur enfant. Au fait, quel est le bilan – l’âge de 7 ans – de ces stimulations ?

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Nous nous sommes reportés directement à la publication originale de 2012 par Luc Multigner, Renée Dallaire, Gina Muckle, Florence Rouget, Philippe Kadhel,Henri Bataille, Laurence Guldner, Sophie Seurin, Véronique Chajes, Christine Monfort, Olivier Boucher, Jean Pierre Thome, Sandra W. Jacobson, Sylvaine Cordier “Cognitive, visual, and motor development of 7-month-old Guadeloupean infants exposed to chlordecone”, in Environmental Research, octobre 2012, pp. 79 à 85.

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NB : Jusqu’à sa retraite en 2015, Sylvaine Cordier était épidémiologiste et directrice de recherches à l’Inserm au sein de l’unité de recherche « Recherches épidémiologiques sur l’environnement, la reproduction et le développement ». Cf. sa communication « Chlordécone et développement de l’enfant : Cohorte mère-enfant Timoun » donnée pour les trente ans de l’Inserm le 27 septembre 2013 à la Médiathèque Paul Mado de la Ville de Baie-Mahault, en Guadeloupe.

A la fin de son exposé, le Docteur MULTIGNER a communiqué quelques aperçus du quatrième volet de l’étude Timoun qui sera bientôt publié : « Des données préliminaires montrent que l’exposition au chlordécone à l’âge de 7 ans est associée à des moins bons scores évaluant le développement cognitif au même âge ».

Nos remarques sont les suivantes :
o Les observations faites sur les enfants à 7 ans sont cohérentes avec celles réalisées

sur les enfants de 7 mois. En effet, dans les deux cas, le potentiel semble affecté
o Elles nécessitent selon nous une enquête épidémiologique complémentaire visant à

vérifier l’intégrité du potentiel intellectuel de nos enfants
o Ayant informé par avance – à l’occasion de ce Colloque – la population antillaise de

l’amoindrissement du potentiel intellectuel des enfants de 7 ans exposés au chlordécone, quand l’étude définitive sera rendue publique ses auteurs pourront déclarer : « rien de nouveau »

o Quand une journaliste lui a demandé si les faiblesses intellectuelles observées chez l’enfant de 7 ans sont durables ou réversibles, le Docteur MULTIGNER a répondu qu’il faut attendre la prochaine étude (relative aux préadolescents) pour être fixés. Patience, patience, … D’ici là, nous risquons de nous habituer à l’idée que le potentiel intellectuel de nos enfants exposés au chlordécone est limité.

– Opacité et censure
Alors même qu’il proclame la transparence dans l’organisation de ce Colloque, l’Etat met en œuvre l’opacité et la censure.

Ainsi, lors du débat qui a suivi la communication du Docteur MULTIGNER, j’ai rappelé les déclarations de Mme Sylvaine CORDIER, Directrice de recherches à l’INSERM de Rennes (retraitée depuis 2015) et co-auteur de l’étude Timoun. En Guadeloupe pour les 30 ans de l’INSERM, S.CORDIER avait précisé au cours d’une conférence – où j’étais présent – que les enfants guadeloupéens testés à 7 mois présentaient une perte de QI allant de 10 à 20 points. Le Docteur Luc MULTIGNER est entré dans une violente colère en indiquant que ces éléments n’avaient jamais été publiés et que seule l’étude scientifique publiée faisait foi. En outre, il a déclaré que sa collègue n’aurait jamais pu tenir de tels propos…

La diffusion de ces éléments pourrait peut-être embarrasser les chercheurs en charge de l’étude, vis- à-vis des parents dont ils espèrent suivre les enfants pendant de longues années. Ils devront en effet leur expliquer que les premières traces de l’altération du potentiel intellectuel de leurs enfants ont été décelées dès l’âge de 7 mois. Rappelons que les enfants de la cohorte Timoun ont actuellement entre 13 et 14 ans… En outre, les chercheurs seraient confrontés aux inquiétudes de l’ensemble des Guadeloupéens et des Martiniquais.

Le vif échange que nous avons eu a – comme l’ensemble des débats – été filmé. En rentrant le soir dans ma chambre, j’ai pu le visionner sur le site officiel du colloque.
Le lendemain, ledit échange avait été définitivement effacé…
Sans doute n’était-il pas politiquement correct.

Quid de la transparence ?

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Conclusion :

46 ans se sont écoulés depuis l’introduction du chlordécone en Guadeloupe et 25 ans depuis son interdiction définitive.
La pollution/contamination de notre biotope ne cesse de s’élargir.
Au terme du Colloque chlordécone qui vient de s’achever, nous avons simplement reçu la confirmation

  • –  Qu’aucun programme de dépollution des sols conduit par la France n’aurait encore abouti
  • –  Qu’aucune recherche en détoxification des personnes n’est annoncée.
  • –  Qu’aucune réparation individuelle n’est envisagée par l’EtatLes quatre jours de Colloque que nous venons de vivre constituaient simplement une grande messe destinée à endormir les consciences et à dégager au maximum la responsabilité de l’Etat

Philippe VERDOL

Président de l’association EnVie-Santé (Environnement, Vie et Santé)
Maître de Conférences en Economie Université des Antilles – Pôle Guadeloupe

Fait à Gosier le 23 octobre 2018

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