Ce premier retour aux sources fut notre manière d’inaugurer la Décennie internationale des peuples d’ascendance africaine.
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Depuis la Caraïbe, aucune ligne régulière ne propose la traversée de l’atlantique en direction de l’Afrique. Pourtant, le Continent Noir est là, en face, au bout de la mer, à l’Est !
Comme ses homologues, la France, ancienne puissance coloniale esclavagiste n’a pas jugé nécessaire d’établir un pont aérien afro-caribéens et leur parentèle africaine.
Qu’à cela ne tienne ! Nous avons décidé unilatéralement de mettre fin à l’exil ! Après un très long voyage, via la France, nous arrivons au Bénin, en plein festival international annuel du Vaudou. Cette fête se célèbre à travers tout le pays pendant plusieurs jours Comme chaque année, son point d’orgue – en 2015, le samedi 11 janvier – est jour férié.
Plusieurs couvents du vaudou venus de toute la région accomplissent avec ferveur d’impressionnants rituels. D’un temple à l’autre, le convoi déambule à travers la ville. Le temple des pythons est situé juste en face de la Basilique de l’Immaculée Conception. Garant d’un syncrétisme peu ordinaire, un énorme baobab trône au milieu de la place qui les sépare.
A l’issue des cérémonies de la première partie de la journée, notre guide nous propose une visite de la ville. Nous suivons sa moto d’abord jusqu’à la Place Chacha – ancien marché aux esclaves – puis jusqu’à à la Case Zomaï.
Zomaï signifie : « que le feu ou la lumière ne s’y hasarde point ». Les prisonniers y étaient entassés durant deux semaines sans lumière ni nourriture pour être préparés aux conditions de la traversée. Les plus récalcitrants étaient muselés, attachés puis portés par leurs compagnons d’infortune jusqu’à la mer. Ceux qui n’avaient pas supporté les deux semaines de privation de lumière et de nourriture prenaient une tout autre direction – celle de la fosse commune. Après avoir traversé à pied quelques venelles nous nous recueillons devant le grand Mémorial de Zoungbodji édifié en ce lieu sinistre.
La spiritualité africaine est perçue depuis nos îles comme un ensemble de pratiques occultes et diaboliques. Mais avec force et majesté, elle se déploie à Ouidah – au bout de la route de l´esclave.
Au terme de cette route de terre rouge, La Porte du non-retour nous apparaît. Des rafraichissements sont proposés de part et d’autre de l’esplanade qui y conduit. Sur la plage, les festivités de l’après midi ont pris le relais. Au-delà de l’immense arche, des tentes ont été dressées. Pêle-mêle, elles accueillent prêtres, délégations de couvents vaudous, tête couronnées, dignitaires, notables, touristes et … nous-mêmes ! Micro en main, au centre de ce noble et impressionnant parterre, le maître de cérémonie prend le temps d’énoncer les qualités des présents. Notre guide lui glisse un mot et voilà que le nom de nos îles résonne parmi celui des différentes délégations présentes !
Cet amalgame entre représentants du pouvoir spirituel et tenants d’un pouvoir temporel hérité de l’ancien comptoir colonial de traite négrière n’est pas neutre, loin de là ! Le début de l’extermination de plusieurs millions – au bas mot – de nos ancêtres a eu lieu en quelques points très précis des côtes du Golf de Guinée.
Pour nous, assurément, cette association fait sens. Le retour aux sources, à travers la découverte du Vaudou, permet aux peuples de la diaspora de se reconnecter avec les symboliques initiatiques majeures de l’Afrique. Toutefois, les rituels sont impressionnants : âmes sensibles s’abstenir ! Par ailleurs, sous le regard bienveillant de rois, de notables et d’initiés, les festivités sont grandioses, pleines de vêtements de cérémonie, d’apparats, de rythmes, de couleurs, de chants, de danses, de transes…
Au bout de la fête, nous nous sommes rendus à l’Institut de Développement et d’Echanges Endogènes – l’IDEE.
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Dans mon sac, j’ai préalablement glissé mon dernier roman « Les Commandeurs de l’aube ». Je souhaite l’offrir au Professeur Aguessy – le fondateur de l’IDEE. Honorat Aguessy est un véritable puits de science. Je pourrais rester des heures à l’écouter sans jamais me lasser. Il est une sommité de sociologie et d’anthropologie. Il est aussi la référence béninoise reconnue par l’Unesco pour ses travaux en matière d’éducation, d’enseignement, de formation et de développement endogène en Afrique.
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Le Professeur Aguessy m’invite à prendre place juste en face de lui.
– Je vous écoute, ma Sœur !
C’est par ce doux substantif qu’il m’appelle durant toute cette rencontre ainsi que durant celles qui vont suivre. Alors, je lui présente la perspective si paradoxale de l’aliénation dans mon roman – le personnage principal est un européen blanc qui caresse depuis très longtemps le rêve d’être dans la peau d’un indigène, d’un colonisé…
Je lui expose également l’idée force du roman à savoir la capacité de certains peuples à permettre à d’autres – qui avaient pu jadis être leurs bourreaux – de retrouver leur propre humanité. D’où l’oxymore qui constitue le titre de l’ouvrage.
Enthousiasmé, le Professeur AGUESSY nous invite Philippe et moi pour le week-end suivant à participer aux journées commémoratives de Zomachi.
Eia ! Le Bénin est un pays africain incontournable pour nous – peuple des Antilles françaises ! Tel un musée à ciel ouvert, l’ancien comptoir portugais de Ouidah expose les premières semaines de notre histoire.
Il faut avoir marché sur la route des esclaves jusqu’à la porte du non-retour pour comprendre la souffrance endurée dès le sol africain par nos ancêtres expédiés en esclavage dans les Caraïbes. Il faut l’avoir foulée pour comprendre les tréfonds de notre psychologie passée et actuelle. L’émotion est très forte à chaque station de cette route pleine de symboles. Sans discontinuer, comme chacun, j’ai ressenti de profondes invitations à me libérer, à renouer avec la terre ancestrale, à me débarrasser de ma colère, à faire la paix en moi, à faire la paix avec l’Afrique – berceau de l’humanité…
En vérité, ce que j’appréhendais comme un Golgotha ne l’est pas ou, en tout cas, ne l’est plus…
A mon tour donc, pendant ma propre marche, je rencontre l’Afrique – sous mes pas je ressens la terre rouge de la fabuleuse énergie africaine – celle qui ne m’a jamais quittée. Nous bavardons. Antoine, un de nos guides, vient à moi et me murmure :
– Ils avaient des chaînes, en plus, à leurs chevilles.
Aucun cliquetis lugubre ne me parvient. Seul le chant d’un oiseau s’impose au-dessus des discussions. C’est alors que je rencontre une Afrique qui médite sur son terrible passé en planifiant des jeûnes et des exorcismes menés conjointement avec des frères et sœurs de la diaspora. Cette Afrique médite aussi sur son présent si compliqué mais elle avance, vaille que vaille.
Gratifiée de vigoureuses poignées de mains et d’émouvantes embrassades, je rencontre des frères d’humanité pleins d’une douloureuse repentance.
– Anuwanumono na nu nukuno – Un fou donne l’aumône à un aveugle.
– Bo ne e do ? – Et que dit-il ?
– Hun mede gbe le balawe hu ce – Il y a donc plus malheureux que moi !
En guise de repentance, ces mots forts qui plus d’une fois ont résonné à nos oreilles : «Oui, les nôtres ont vendu vos ancêtres et depuis nous en payons le prix ! »
Le 18 janvier 1998, au terme d’une marche du repentir conduite par le Professeur Honorat Aguessy, plusieurs notables de Ouidah demandèrent pardon à genoux pour la complicité de certains de leurs ancêtres au crime de l’homme blanc. Chaque année, le troisième dimanche de janvier, la marche du repentir est commémorée. Dès la veille, un programma d’activités se met éventuellement en place. En ouverture de ce week-end commémoratif, le samedi 17 janvier 2015, j’ai eu l’honneur de présenter « Les Commandeurs de l’aube » dans l’immense salle de conférence Kwamé Nkruma de l’IDEE. Le très vénérable professeur Honorat Aguessy avait convié pour cette occasion des étudiants de l’université de Cotonou. Le lendemain, nous avons tous participé à la marche du devoir de mémoire qui nous a conduits au haut lieu de Zomachi.
Ainsi, après 4 siècles de participation à la déportation de millions de ses enfants, l’Afrique accepte, pour sa part, de faire amende honorable et de demander pardon à ses enfants de la Diaspora. Quid du repentir des acheteurs et et de leurs autres commanditaires ?
Non, en ces premiers jours de la Décennie internationale des Peuples d’ascendance africaine, nous n’absolvons pas pour autant l’homme Blanc de son crime et de son devoir de réparation.